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Nicoletta Fagiolo

Les juges de la CPI qualifient Laurent Gbagbo de Président responsable

Les juges de la CPI rejettent les preuves du Procureur et qualifient Laurent Gbagbo de Président responsable







Faiblesse exceptionnelle, authenticité douteuse et/ou contenant des rumeurs anonymes importantes, fragile, caricaturale, unilatérale, incohérente ou autrement inadéquate, sans valeur probante ; ce sont en ces termes que les juges Cuno Tarfusser et Geoffrey Henderson de la Cour Pénale Internationale basée à La Haye, ont écarté, à la majorité, à mi-procès, les dépositions du procureur de la CPI dans l'affaire contre Laurent Gbagbo, ancien président de la Côte d'Ivoire, pays de l'Afrique de l'Ouest, et de Charles Blé Goudé, activiste et ex ministre de la jeunesse.


Le procureur de la CPI Fatou Bensouda, défiant toute logique, a décidé qu’elle pourrait faire appel ; elle a jusqu’à la mi-septembre pour le faire. Pour le juge Henderson, « il est incompatible avec la présomption d'innocence de poursuivre le procès avec l'espoir que l'accusé fournirait le seul élément de preuve susceptible de justifier une condamnation ».

Dans leurs décisions écrites du 16 juillet, les juges majoritaires ont déclaré que les documents soumis par le Procureur dans cette affaire « n’auraient pas passé le test de recevabilité le plus rudimentaire dans de nombreux systèmes nationaux ».


Comment se fait-il que la CPI ait accepté des éléments de preuves aussi peu convaincantes ? L’une des raisons semble être l’absence de décision sur la recevabilité des preuves présentées: dès février 2016, une semaine après le début du procès commencé en janvier de cette année, le juge Henderson avait, dans une opinion dissidente, mis en garde la Chambre de première instance contre ce risque grave de porter atteinte à la fois à l'équité et à l'efficacité de la procédure.


Cette absence de ce qui est considéré comme une pratique établie et non controversée dans toutes les procédures pénales internationales a permis à ce dossier d'être inondé de documents: au total 4 610 éléments de preuve documentaires et autres éléments de preuve non oraux. Aucun filtre n'a également été appliqué aux 96 témoins présentés, dont 39 n'ont pas comparu devant le tribunal.


« Si nous avions pu simplement exclure tout ouï-dire anonyme, ce brouillon aurait été plus court de plusieurs centaines de pages », écrit le juge Henderson dans ses motifs présentés dans un document de 961 pages.


Fort de 34 années d'expérience judiciaire, dont dix en tant que juge à la CPI, le juge Tarfusser a souligné le défaut le plus grave du procureur dans cette affaire: « son refus d'adapter et de modifier progressivement son récit, en faisant le point des choses dites ou révélées dans la salle d'audience: au lieu de cela, ce récit est resté le même que dans les premiers jours de la phase préliminaire du procès, et jusqu'à ce jour même. ».


Selon Tarfusser au fur et à mesure du déroulement du procès, le rôle de Gbagbo est passé radicalement du portrait fait par le procureur d'un dictateur criminel pervers au « président qui se soucie de son peuple, qui veut être informé et qui assume ses responsabilités plutôt que de conspirer contre son peuple ».


Comment deux portraits aussi contradictoires peuvent-ils coexister?


Laurent Gbagbo, historien, militant non violent et père de la démocratie ivoirienne, s'est engagé dans un conflit qui a vu des victimes civiles succomber, alors qu'il combattait une rébellion bien structurée, les Forces nouvelles, qui attaquait son régime depuis 2001 et occupait le nord du pays, le séparant en deux depuis 2002.


Le récit du Procureur, en omettant ou en minimisant systématiquement la présence des Forces Nouvelles, ou d’autres acteurs politiques et militaires importants, tels que l’ONU (des éléments de preuve révélés au procès montrent que, dans certains cas, l’ONU a soutenu les rebelles) et la France (des preuves au procès indiquaient que des chars de l'armée française avaient tiré sur le FDS (l'armée nationale ivoirienne)) n'expliquaient pas les schémas de la violence sur le terrain.


Le fait que le procureur Bensouda ait choisi les preuves qui convenaient à son récit remet en question la capacité de la CPI à rendre justice, comme indiqué par le juge Henderson en comparant l'exercice juridique à une partie d'échecs dans laquelle on "est informé que des mouvements d'un joueur."


Les obligations statutaires de la CPI appellent le Procureur à enquêter également sur les circonstances atténuantes, qui semblaient trop souvent absentes. Par exemple, la preuve vidéo n'incluait pas le projet de film documentaire que j'ai produit « Simone et Laurent Gbagbo, le droit à la différence », qui contient des douzaines de témoignages de première main d'hommes politiques sur la période postélectorale de 2010, période visée par le procès.


Les juges Henderson et Tarfusser, qui ont fourni une analyse détaillée des preuves présentées, sont parvenus à la conclusion juridique qu'aucune chambre raisonnable ne pouvait conclure qu'un des ministres mentionnés, encore moins la première dame Simone Gbagbo, contre laquelle la CPI n'a pas encore abandonné ses charges bien qu’elle ait été acquittée dans son procès en Côte d’Ivoire pour crimes contre l'humanité, partageaient l'intention de commettre des crimes contre la population civile.


Les juges, à la majorité, ont constaté que des irrégularités de procédure, ainsi que d’enquêtes de la part du bureau du Procureur, existaient déjà avant l’ouverture de l’enquête de la CPI en Côte d’Ivoire, ce qui soulève la question du manquement à l’impartialité et d’abus de pouvoir.

Ceci est corroboré par les documents diplomatiques français divulgués en 2017 qui révélaient que le 11 avril 2011, cinq mois avant l'ouverture d'une enquête de la CPI et des heures avant l'arrestation de Gbagbo, le procureur de la CPI de l'époque, Louis Moreno Ocampo, avait requis que Laurent Gbagbo soit gardé en prison jusqu'à ce qu'un pays envoie l'affaire devant la CPI. Vingt diplomates français de haut niveau étaient ainsi au courant de la manœuvre politique en cours pour renverser Laurent Gbagbo.


Ne pas faire le bilan de ce qui est ressorti de l'exercice juridique semble être également un problème majeur dans l'opinion dissidente de 300 pages du juge Herrera Carbuccia. Par exemple, elle mentionne l'utilisation par Charles Blé Goudé de « discours de haine » sans citer une source ou un extrait d'un discours de Blé Goudé pour soutenir ses déclarations. La seule note de bas de page mentionnant des éléments de preuve cite un procès du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie.


Cela est particulièrement troublant, car de nombreuses preuves vidéo ont été montrées au procès qui indiquaient exactement le contraire, montrant que le ministre de la Jeunesse, Charles Blé Goudé, rejetait explicitement la violence, ce que les juges à la majorité ont souligné.


Le 15 janvier 2019, les juges à la majorité ont également ordonné la libération immédiate des deux accusés, décision qui a été muée par la Chambre d'appel le 1er février en une libération conditionnelle sous un « régime très restrictif », régime que les juges à la majorité ont déclaré être en conflit avec le respect de droits fondamentaux de l'homme.


« La sévérité injustifiée des conditions imposées à Laurent Gbagbo et à Charles Blé Goudé ne semble pas tenir compte du statut d’acquitté des deux personnes, et en particulier de leur acquittement à la suite d'une procédure de renvoi à la mi-procès, et de la détermination implacable de la majorité des juges de la Chambre de première instance sur la faiblesse exceptionnelle de l'acte d'accusation », a déclaré Moussa Bienvenu Haba, candidat au doctorat en droit international de l'Université Laval.


Lors d'une réunion du Réseau africain sur la justice pénale internationale à Dakar, le 31 juillet, Femi Falana, avocate nigériane spécialisée dans la défense des droits de l’homme, a qualifié cette affaire de poursuite sélective, et maintenant de persécution sélective.


Paolo Sannella, ancien ambassadeur d'Italie en Côte d'Ivoire lors de l'attaque des rebelles de 2002, se réjouit de l'acquittement, considéré comme « un premier pas vers la réhabilitation de la CPI » de ce qui a été jusqu'ici « une justice de vainqueur à sens unique, un harcèlement néocolonial ayant entaché le nom de la France et de ses alliés qui ont entraîné de manière irresponsable la Côte d'Ivoire dans la tragédie d'une guerre. "


Ne pas reconnaître « l'ampleur des divergences entre les faits allégués à l'origine par le Procureur et ces faits tels que révélés dans la salle d'audience » semble également constituer une préoccupation majeure en dehors de la salle d'audience: depuis janvier 2019, les experts en droit pénal international, les journalistes et les ONG ont soit gardé le silence sur cette affaire, soit souvent réprimandé la CPI pour n'avoir pas été en mesure de rendre la justice en condamnant un inculpé de grande notoriété tel qu'un ancien président.


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